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Douces déroutes (2018)
De Yanick Lahens chez Sabine Wespieser éditeurÀ Port-au-Prince, la violence n’est jamais totale. Elle trouve son pendant dans une « douceur suraiguë », douceur qui submerge Francis, un journaliste français, un soir au Korosòl Resto-Bar, quand s’élève la voix cassée et profonde de la chanteuse, Brune.
Le père de Brune, le juge Berthier, a été assassiné, coupable d’être resté intègre dans la ville où tout s’achète. À l’annonce de la mort de ce père qui lui a appris à « ne jamais souiller son regard », la raison de sa fille a manqué basculer. Six mois après cette disparition, tout son être refuse encore de consentir à la résignation.
Son oncle Pierre n’a pas non plus renoncé à élucider ce crime toujours impuni. Après de longues années passées à l’étranger, où ses parents l’avaient envoyé très jeune – l’homosexualité n’était pas bien vue dans la petite bourgeoisie –, il vit reclus dans sa maison, heureux de rassembler ses amis autour de sa table les samedis.
Aux côtés de Brune et de Pierre ; d’Ézéchiel, le poète déterminé à échapper à son quartier misérable ; de Nerline, militante des droits des femmes ; de Waner, non-violent convaincu ; de Ronny l’Américain, chez lui en Haïti comme dans une seconde patrie, et de Francis, Yanick Lahens nous entraîne dans une intrigue haletante. Au rythme d’une écriture rapide, électrique, syncopée, comme nourrissant sa puissance des entrailles de la ville, elle dévoile peu à peu, avec une bouleversante tendresse, l’intimité de chacun. Tout en douceur, elle les accompagne vers l’inévitable déroute de leur condition d’êtres humains. Russell Banks l’affirme dans sa préface à l’édition américaine de Bain de lune : « Ce qui est indéniablement vrai des personnages de Lahens l’est indéniablement pour chacun d’entre nous. »
Tags : roman, amitié, mafia, poetique, occident, pauvreté, tendresse, justice, journaliste, misère, assassinats, chants, ascension sociale, attentats, non-sense, littérature haïtienne, droits de l'homme, homosexualité, haïti, langue française.
Citations de Douces déroutes (10)
Ici, rire est une esquive, la plus douce de toutes. Pour regarder l'amer et le sombre. Pour endormir le malheur ou la douleur d'un sommeil inavouable. Rire pour aplanir le monde et avancer comme dans un songe. p.140
Brune est partie avec cette photo de son père la tenant sur ses genoux en riant. Jamais douleur ne fut si profonde. Ramassant avec elle, au passage, colère et peur. Et ronces et broussailles et haine. Mais, pardessus tout, la peur. Peut d'être au mauvais endroit dans son lieu natal, peur de ne pas être à la hauteur, peur de mourir avant le temps. Alors Brune a fui ses peurs de toujours. Les nouvelles, elle ne les connaît pas encore. Et ne veut ni les comparer ni les mesurer à celles qu'elle ne connaît que trop bien. Brune rêve de contrées lointaines enneigées, antichambres du paradis, là où le feu n'a pas encore brûlé, même si elle le soupçonne de couver partout. Dans les vertes prairies, dans le vent, sous la pluie, dans les déserts. Mais elle chasse cette idée avec sa voix, qui balaie tout et porte son rêve. Elle sèmera des cailloux dans toutes les villes du monde pour ne pas perdre le chemin du retour, le chemin de l'enfance très loin enfouie.
Je n'ai pas pu pleurer. Je n'ai pas pleuré. Je suis resté bête et nu comme un ver sous ma douche, les yeux hagards. Ce que je ressentais pouvait se passer de mots, tant était forte cette souffrance dans chaque pouce de chair, dans chaque muscle, chaque goutte de sang. p.22
Ma petite enfance, c'est une terre loin d'ici. Quand nous étions petits, mère ne nous quittait pas du regard. Elle suivait mes pas jusqu'à ce que je disparaisse au bout de la rue. Et, le soir, ce même regard voilé d'une certaine inquiétude, elle guettait notre retour. Elle continue à nous attendre le soir. Tous les soirs. Cela fait des années qu'il en est ainsi. Depuis l'enfance. J'ai détesté mon enfance. Je la déteste encore. J'ai détesté les chaussures usées jusqu'à la corde, la faim, les morsures de rat la nuit et l'absence de rêves pour enjamber tout cela. J'ai détesté ma petite enfance et, aujourd'hui, je déteste moins ma petite enfance que les histoires qui embellissent la belle enfance des pauvres. Ceux qui n'ont jamais eu faim raffolent de ces histoires.
La mort n'effraie pas Pierre. Ce qui lui fait honte, c'est de continuer à vivre en voyeur silencieux, couard, la queue basse. Ce qu'il craint, c'est l'usure qui inexorablement rongera tout. Les muscles qui ne tiendront plus rien, la vie qui s'évidera en miasmes et sécrétions tout en bas, la mémoire qui prendra l'eau, la douleur qui appellera la morphine et l'oubli de tout. P.20
Lui qui venait à peine de laisser derrière lui des peurs qu'il pensait déjà loin, voilà qu'il s'en allait pieds et mains liés au-devant de nouvelles. Il sent le souffle brutal de l'effroi gagner cet espace encore vierge que même l'évènement de Médéquilla n'avait pas encore conquis. Une telle synchronisation de la peur était désormais dans l'ordre du temps. Quelque chose n'a pas cessé de nous arriver, que nous n'avons pas vu venir. Et il se trouvera toujours des gens pour gouverner nos frayeurs. Ceux-là même qui les auront créées. Et la peur nous rongera les tripes, malgré nos divertissements et nos dérobades. p.213
Tu te trompes mon frère, tu te trompes affirmait Onèl. Tout ce qui nous concerne, nous, les vaincus, est sans importance, n'est pas humain. Nos dieux ne sont pas les bons, notre compréhension du monde est mauvaise, nos croyances sont illégitimes. Je veux aller du bon côté de l'histoire. Une fois parti, je regarderai l'île à la télévision. M'exprimerai avec discrétion sur la conjoncture. Tout excès peut te faire rater des opportunités, petit frère. Je ferai dans le mystère et l'humour. Dans la diversité réussie. Et j'épouserai une Blanche. Oui, une Blanche, jusqu'à la disparition totale du Nègre dans ma descendance... Je n'en voulus pas à Onèl, mais à ce monde qui l'avait à ce point blessé et faisait monter sa rage. p.158
Je ne lui dis pas que, souvent, ils allument une flamme vacillante dans ma nuit, tout au fond. Une flamme que je me hâte d'éteindre. Je ne peux pas me laisser toucher. L'émotion est un luxe. Je ne veux rien faire ni dans la nuance, ni dans la dentelle, ni dans l'émotion... J'aime que les gens aient peur. De mes cheveux. De mes chaussures. De ma peau. De mon regard. De la faim inscrite aux commissures de mes lèvres. La haine, c'est ma blessure qui ne guérit pas. Que je ne veux pas guérir. Je veux cogner, et fort. p.114 et 115
Il serait temps qu'Ezechiel comprenne que la chance tu ne la trouves pas dans les palabres, les livres ou par terre. Tu te baisses au milieu de la rue et, hop, elle te saute à la figure. Tu ouvres les pages d'un livre et voilà qu'elle te sourit ? Eh bien non ! p.78 et 79
Aujourd'hui, voilà qu'elle plante son désir de femme seule, au milieu des vents.
Critiques de Douces déroutes : avis de lecteurs (9)
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Critique de Douces déroutes par (Babelio)Ici, rire est une esquisse, la plus douce de toutes. Pour regarder l'amer et le sombre. Pour endormir le malheur ou la douleur d'un sommeil inavouable. Rire pour aplanir le monde et avancer comme dans...
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Critique de Douces déroutes par DOMS (Babelio)Francis, un jeune journaliste français, vient d'arriver en Haïti lorsqu'il entend le soir de son arrivée, dans le resto-bar le Korosol, la voix intense de Brune, la chanteuse au charme magnétique. Il ...
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